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Révision de la Constitution béninoise : La proposition de loi d’un député attaquée devant la Cour

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Alors que la proposition de loi portant révision de la Constitution est programmée pour examen et adoption au cours de la première session extraordinaire de l’année 2024 de l’Assemblée nationale, cinq (5) juristes ont saisi la Haute juridiction en vue de son inconstitutionnalité. Ci-dessous, l’intégralité du recours déposé, ce 22 février 2024 par Landry Adélakoun,  Romaric Zinsou, Miguèle Houéto, Fréjus Attindoglo et Conaïde Akouèdénoudjè contre cette proposition de loi du député de la Mouvance, Assan Séibou.

Abomey-Calavi, le 22 février 2024

                                                                                              A

                                                                                                Monsieur le Président de la

                                                                                                Cour Constitutionnelle du Bénin

Objet : Recours en inconstitutionnalité contre la proposition de loi portant révision de la Constitution portée par le député Assan SEIBOU.

LES REQUERANTS
Landry Angelo ADELAKOUN, Romaric ZINSOU et Miguèle HOUETO, Fréjus ATTINDOGLO et Conaïde AKOUEDENOUDJE tous Juristes de nationalité béninoise, demeurant et domiciliés à Abomey-Calavi (Bénin); 06 BP :3755 Cotonou (BENIN) ;   E-mail : angelo.adelakoun@gmail.com où domicile est élu dans le cadre de la présente action ;

ONT L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER
Que par décision DCC n°24-001 du 4 janvier 2024,la Haute juridiction a dit et jugé que le code électoral fait le lit à une rupture d’égalité entre maires à laquelle il peut être remédié, sans porter atteinte à l’autorité de la chose jugée de la décision DCC 19-525 du 14 novembre 2019, si la période du parrainage était définie de sorte à mettre tous les maires dans la même situation juridique ;

Que pour cette raison la Cour a invité l’Assemblée nationale à procéder à la modification du code électoral pour rétablir l’égalité entre les maires ;

Qu’à la lecture de ladite proposition de loi portant révision de la Constitution, il ressort une flagrante violation des dispositions de la Constitution qui mérite d’être soumise à l’appréciation de la Haute juridiction ;

Que dans cette perspective de respecter l’injonction de la Cour, des propositions de loi sont déposées et visant à modifier soit la Constitution soit le code électoral ;

Que pourtant la Cour constitutionnelle n’a jamais demandé la révision de la Constitution ;

Que la proposition de loi sur la révision du député Assan SEIBOU contient des affirmations manifestement contraires à la Constitution qu’il sied de soumettre à l’appréciation de la Cour constitutionnelle ;

DISCUSSION

Qu’il échet de discuter d’abord de la recevabilité et de la compétence de la Haute juridiction avant de discuter du bien-fondé de la présente action.

Sur la recevabilité de la requête
Que la présente action est initiée en vertu des articles 3 et 122 de la Constitution du 11 décembre 1990 modifiée par la loi N° 2019 – 40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi n° 9032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin et 28 de la loi 2022, articles 28, 35 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle ;

Que l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 modifiée par la loi N° 2019 – 40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi n° 9032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin dispose en son dernier alinéa : « … Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » ;

Que les requérants sont tous des citoyens béninois qui défèrent devant la Cour un acte règlementaire, en l’occurrence, un décret contraire aux dispositions de la Constitution ;

Que l’article 28 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que : « La Cour constitutionnelle est saisie par requête, dans les formes et suivant les modalités fixées au règlement intérieur » ;

Que l’article 28 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle précise que « la Cour est saisie par une requête. Celle-ci est déposée au Greffe de la Cour qui l’enregistre suivant la date d’arrivée. La requête peut être aussi déposée par voie électronique » ;

Que l’article 35 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que « De même, la Cour constitutionnelle est saisie soit par le Président de la République ou tout citoyen, association, organisation de défense des droits de l’Homme, des lois et actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, les violations des droits de la personne » ;

Que l’article 37 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que « Tout citoyen peut, par une lettre comportant ses noms, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois » ;

Qu’en tant que juridiction constitutionnelle, comme nous l’enseigne Xavier Magnon, la Cour constitutionnelle est un organe indépendant en charge de résoudre les litiges portant sur la conformité à la Constitution ;

Que si le Professeur Magnon réduit cette résolution à la conformité de la loi à la Constitution, la Professeure Dandi GNAMOU en ce qui concerne le contexte béninois, soutient que la Cour constitutionnelle est « un organe indépendant en charge de résoudre des litiges portant sur la conformité à la Constitution de dispositions, législatives ou réglementaires, d’actes ou d’omission » ;

Que la présente action remplit toutes les conditions de recevabilité et de compétence posées par la Constitution, la loi organique sur la Cour constitutionnelle et le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

Qu’il y a donc lieu de discuter de son bien-fondé.

§  Sur le bien-fondé de la requête
Que le peuple béninois puisant dans son passé tumultueux a réaffirmé avec vigueur en 1990 dans sa loi fondamentale son « …opposition fondamentale à tout régime fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel »;

Que notre pays le Bénin a volontairement adhéré à une communauté de normes et de principes.

C’est ainsi que nous avons, dans le préambule de notre Constitution, réaffirmé « solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle » ;

Qu’il sied de rappeler que la notion de régime politique désigne le mode d’organisation des pouvoirs publics, c’est-à-dire le mode de désignation, les compétences, la définition des rapports entre les différents pouvoirs ;

Que La Toupie définit le régime politique comme « l’ensemble des institutions et des pratiques qui caractérisent un mode d’organisation de l’Etat et de la société. Un même système politique peut se décliner en différents types de régimes selon la manière dont s’exerce le pouvoir » ;

Attendu que les nombreuses classifications des régimes politiques développées à partir du XVIIIe siècle sont fondées sur la manière dont le pouvoir est exercé, les rapports entre les différents et non sur l’ordre d’arrivée des élections ;

Que avec Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, l’on a pu distinguer les régimes de confusion des pouvoirs à savoir régime présidentialiste, dictature, régime conventionnel ou régime d’assemblée ;

Que toujours avec ce grand penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières l’on distingue pour les régimes de séparation des pouvoirs, les régimes présidentiels, les régimes semi-présidentiels, et les régimes parlementaires ;

Que d’ailleurs la notion de régime politique se concentre sur la question de l’exercice du pouvoir ; Que dès lors, un régime politique se base sur deux éléments.

Qu’en premier lieu, le régime politique se fonde sur un ensemble de règles concernant les modalités de la détention et de l’exercice du pouvoir politique ;

Qu’à ce volet juridique s’ajoutent des dimensions politiques sur lesquelles la science politique met l’accent ;

Qu’il s’ensuit qu’un régime politique combine un système juridique et un système politique qui, lui, renvoie à l’ensemble des interactions entre les institutions et les acteurs politiques

Que ces volets juridiques et politiques tournent autour de trois questions :
Comment est exercé le pouvoir politique? Qui exerce le pouvoir politique ?
Dans quel but est exercé le pouvoir politique ?

Que de Colliard Jean-Claude, Marcel Filion, Guy Gosselin et François Gélineau, Paul Leroy, la notion de régime politique est restée la même ;

Que même la doctrine des Universités d’Abomey-Calavi et de Parakou n’a jamais soutenu une idée contraire à celle évoquée supra ;

Que le Bâtonnier Robert DOSSOU, ancien Président de la Cour constitutionnel, dans un de ses entretiens rappellera avec pédagogie et vigueur que « le régime présidentiel est le régime le plus fort de séparation des pouvoirs. On ne peut pas subordonner une élection à une autre » ;

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Que c’est avec consternation que l’on lit dans la proposition de loi de révision portée par le député Assan SEIBOU parlant des élections que « l’ordre ainsi établi, d’une part, révèle des dysfonctionnements sur le terrain pratique et, d’autre part, affecte la nature du régime présidentiel » ;

Qu’il poursuit en écrivant que « l’organisation des élections législatives et communales avant celle du duo président de la République et vice-président de la République n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale » ;

Que de telles affirmations à un si haut niveau dans un document qui pourrait conduire à la révision de la Constitution d’un pays, jadis quartier latin d’Afrique, frisent un mensonge inacceptable, intolérable ;

Que le mensonge est, selon Larousse, l’action de mentir, de déguiser, d’altérer la vérité ;

Que le mensonge, arme des manipulateurs, a fait l’objet de beaucoup de réflexions ;

Que c’est la première fois que l’on apprend et ce, de la part d’un député que l’ordre d’organisation des élections est une des caractéristiques des régimes politiques ;

Que dans sa petite histoire du mensonge, Maria Bettetini (M. Bettetini, Brevestoriadellabugia. Da Ulisse a Pinocchio, Milan, Cortina, 2001, p. 20-21) a élégamment démontré que le mensonge est intimement lié à l’accord entre les locuteurs sur ce qu’est le vrai, c’est-à-dire à la définition de la vérité ;

Que le mensonge n’est ni plus ni moins qu’une affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper ;

Que Augustin (Augustin, De mendacio, IV.5, éd. par I. Zycha, Vienne/Leipzig, Freytag Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, 41, 1900, p. 419) qui a traité du mensonge dans plusieurs œuvres, à partir du De magistro et jusqu’au De trinitate a, dans le cadre d’un essai de classification des différents types de mensonge et d’une conception très rigide de la non-admissibilité du mensonge, indiqué deux éléments comme étant essentiels pour la définition du mensonge. Il s’agit d’abord de la fausseté de ce que dit le locuteur. Ensuite, il met l’accent sur l’intention de tromper le locuteur ;

Que dès que l’intention de tromper est comme une poutre du mensonge, il s’ensuit que l’on est en l’espèce présence d’une manœuvre dolosive ;

Que le dol en droit des obligations est un vice de consentement ;

Attendu que la vérité, en l’espèce, est tout sauf ce qui est écrit noir sur blanc dans la proposition de loi portée par le député Assan SEIBOU ;

Que cet état de chose est contraire à tous les principes élémentaires du droit et surtout à notre ordonnancement juridique ;

Que l’affirmation contenue dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de révision est comme une bombe larguée sur le régime présidentiel qui n’a rien à voir avec l’ordre d’organisation des élections ;

Qu’en osant une affirmation si fausse et si dangereuse pour la jeunesse envers qui l’élite a une obligation de vérité, le député Assan SEIBOU, dépositaire béninois d’une doctrine qui n’a jamais existé et n’existe nulle part au monde, a violé l’article 35 de la Constitution qui énonce que « les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun » ;

Que s’il serait surprenant de conclure à un défaut de compétence à la lecture de la contre-vérité véhiculée par le député dans sa proposition de loi, il ne serait pas hasardeux de constater que cette contre-vérité ne s’inscrit ni dans la logique du dévouement et la loyauté à la République ni dans la préservation de l’intérêt et le respect du bien commun ;

Que grave encore, en s’adonnant à de telles affirmations dans un pays qui abrite la Chaire UNESCO des Droits de la Personne et de la Démocratie, le député Assan SEIBOU et les partisans de son école se livrent à une opération qui frise une tentative de dégradation de l’image de notre pays et d’abrutissement de sa population ;

Qu’il sied de rappeler que les premières élections après l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990 ont eu lieu respectivement le 17 février 1991 pour les élections législatives et le 10 mars 1991 pour le premier tour de l’élection présidentielle ;

Que le même ordre a été suivi pour les élections de 1996, 2001, 2006 ;

Que pour ne pas aller loin, l’on se souviendra que les élections législatives ont eu lieu le 26 avril 2015, les communales le 28 juin 2015 ;

Que ces deux élections susmentionnées ont eu lieu avant les présidentielles qui elles ont eu lieu entre Février et Mars 2016 ;

Que l’on est en droit de se poser la question de savoir si cela a dénaturé le régime présidentiel ;

Que dès lors que le député Assan SEIBOU décide de se faire le chantre d’une doctrine hautement truquée, l’on est tenté de croire qu’il n’était pas présent d’esprit au Bénin pendant que toutes ces élections se déroulaient ;

Qu’à aucun moment le Constituant béninois n’a dit que certaines élections doivent obligatoirement précéder d’autres ;

Que l’on ne peut se permettre de réviser la Constitution d’un pays sur la base de fausses analyses et de mensonges mal ficelés ;

PAR CES MOTIFS

Et tous autres à déduire, suppléer ou développer par devant la Cour, les requérants sollicitent qu’il plaise à la Cour de :

Sur la forme :

Se déclarer compétente
Déclarer la requête recevable

Au fond :

Constater que les affirmations faites par le député Assan SEIBOU dans la proposition de loi sur la révision de la Constitution sont contraires à la Constitution ;
Dire et juger que la proposition de loi sur la révision de la Constitution est contraire à la Constitution ;
Dire et juger que le député Assan SEIBOU a violé l’article 35 de la Constitution ;
ET CE SERA JUSTICE

SOUS TOUTES RESERVES

  Pour Requête Respectueuse

Landry Angelo ADELAKOUN   

Romaric ZINSOU

             Miguèle HOUETO                                                 

Fréjus ATTINDOGLO     

Conaïde AKOUEDENOUDJE

Pièce jointe :

Proposition de loi portant sur la révision de la Constitution

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